ÊTRE SEUL C'EST POUVOIR OFFRIR DES MOTS LA OU IL N'Y A PAS D'OREILLES.

Bjärred, Suède.

On entend beaucoup, partout, parler de Liberté d'expression, de ses limites, de ses droits; de nos droits. Beau paradoxe, soit dit en passant, celui qui combine "liberté" et "limites". Peut-on encore parler de liberté là où il est question de limites? Enfin. Il est légitime de se battre pour débattre, de lutter pour mettre en mots, en actions, en scène, nos mots, nos questions, nos peines. Il est normal. Naturel même. Je pense à cette liberté d'expression et je me dis qu'il doit être terrible de ne pouvoir parler. Comme il doit être atroce de devoir se taire. De voir que sa voix, que son esprit s'enterrent. Mais qu'en est-il de la souffrance de ceux qui peuvent sans pouvoir? Qu'en est-il de la souffrance de ces bouches, de ces coeurs, qui ont tant à dire, murmurer, souffler, confier; qui n'ont personne pour les en en priver, mais personne non plus pour les écouter. Comme il doit être mentalement et physiquement difficilement vivable d'être capable sans pouvoir. De pouvoir sans être capable. On peut empêcher quelqu'un de rendre concrètes ses pensées mais en rien l'interdire de penser; de se dépenser en créant des pensées. Mais ne pas être en mesure d'être entendu, écouté; ne pas être en mesure de partager ses images mentales tue les idées elle même. Tue la pensée, les pensées; l'action même de penser.

Je savais sa solitude, du moins je la savais vivre seule. Mais, après réflexion, je ne savais rien si ce n'est le mot et sa définition. Puis j'ai vu. Et alors la définition a pris forme, comme une représentation mentale enfin exprimée, concrétisée, extériorisée, le mot solitude a pris tout son sens. Être seul ce n'est pas se coucher seul, dormir seul, se lever seul, manger seul, faire ses courses seul, fumer seul, ne pas fumer seul, boire ou ne pas boire seul etc. Être seul c'est pouvoir offrir des mots là où il n'y a pas d'oreilles. C'est alors ne PAS POUVOIR. Et alors ne pas rire, difficilement sourire, être seul c'est ne plus pouvoir articuler ses pensées et alors en finir avec la pensée. Être seul c'est pouvoir vivre comme tout le monde mais en être incapable; être seul c'est être capable de vivre la vie de tout le monde sans pouvoir.

Sa solitude a pris forme réelle quand je l'ai surprise à parler à son chat comme s'il était tout ceux qui ne sont pas. Tous ceux qu'elle n'a pas. La solitude a pris tout son sens quand elle riait, cigarette en bouche, en lui parlant. Savait-elle seulement ce qu'elle disait quand elle riait, fort, comme pour se prouver que ce n'était pas ça, la solitude ?